La docilité du rêve

J’ai vécu dans le rêve. J’ai laissé mon rêve engloutir ma vie complètement, jusqu’à me mêler moi-même avec lui. Je me suis construit un navire de souhaits que j’ai chéri. Mais voilà qu’aujourd’hui, mon vaisseau d’or1 s’est échoué. Qu’est-il advenu de mes aspirations ?

La vieillesse me tue petit à petit et la réalité me rattrape malgré moi. L’orgueil, oh ! l’orgueil mesquin qui me donnait des ailes et me laissait planer sur l’adversité, s’est enfui loin de moi, piqué au cœur et percé de douleur ; je reste seul dans l’humilité de mes limites et de ma condition. Ma maison rapetisse de plus en plus, les murs se rapprochent et les corridors se rétrécissent sans cesse2. Va-t-il me rester une issue ?

Existe-il le soleil ? Je n’ai plus de fenêtre pour voir la lumière dehors : ou l’ai-je jamais vue ? Des fois, je pense que la vie n’est pas réelle, mais qu’elle existe ailleurs, dans un monde parallèle ou chacune de nos pensées s’accumule comme un trésor qu’on ne découvrira que plus tard.

« Ainsi la vie n’est que le rêve d’un rêve,
Mais l’état de veille est ailleurs. »3

J’ai du mal à accepter de me soumettre à la vie telle qu’elle m’est donnée.

Je préfère me blottir dans mes rêves, et ce, même si je suis seul à y croire, contre la réalité, et contre mon corps beaucoup trop faible pour mes ambitions. Je continue de croire jusqu’à mourir de stupidité, s’il le faut. Croire c’est la force de mes membres, la source de ma persévérance et la joie de mes efforts. Ma souffrance même de vivre trouve sa joie dans mes espérances, mes croyances et mon obstination.

Je veux rester dans mon illusion, faire un pas et me réjouir de ce pas, parce qu’il me rapproche du rêve, et rire de mes difficultés, absorbées dans ma folie.

Je continue de rêver. Je continue d’espérer que la vieillesse va s’éloigner et que la mort ne viendra que plus tard, juste un peu plus tard. Je refuse de sortir de mon sommeil. Laissez-moi rêver, sublimer ma souffrance et espérer ma guérison. Juste encore un peu, laissez-moi caresser le bonheur de croire.

La vérité est dure et je l’évite le plus habilement qu’il m’est possible d’y arriver, mais elle me rattrape rapidement. Elle sait me rejoindre dans mes endroits les plus sombres. Endormi, elle me réveille au milieu de la nuit. Elle me connaît mieux que je n’ai jamais su. Je la regarde avec ses yeux doux, la vérité, qui me dit : « Tu es handicapé, crois-moi ; tu vieillis. »

Comment lutter contre une telle vérité ? Comment échapper à cette fatalité qui nous rattrape sans merci ? Un jour, je me suis surpris à croire que je ne mourrai jamais, à cause de la vie qui m’a été donnée à plusieurs reprises. La jeunesse dans mes ailes me faisait croire à l’irréel et j’osais même croire que je serai vivant à jamais, mais la vérité est plus belle et plus grande encore que tout ce que je pouvais croire ; il me faut l’accepter maintenant et guérir enfin de ma maladie.

Ma maladie me ronge et je refuse d’en souffrir, et pourtant, la douleur envahit tout mon être, et le mal sournoisement me guette au détour.

Ma maladie, c’est la mort. Mon handicap, c’est de refuser d’y croire.





Références

  1. Émile Nelligan, Le Vaisseau d’Or 

  2. Boris Vian, L’écume des jours 

  3. Rainer Maria Rilke 

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Écrit par Enrico J. Lévesque le 23 octobre 2006
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