premier baiser

nous nous regardions
nous nous quittions
nous nous désirions
nous nous laissions

dans l’embrasure de ta porte
tu te tenais là
belle comme un mirage
tu me regardais
et tu me souriais

un mirage, car encore
je n’ose croire
que tu m’aies ouvert tes bras
que tu m’aies offert ta bouche

je t’ai prise sur ma poitrine
tu m’as pris, plutôt
moi, je ne pouvais encore y croire
moi, je ne faisais que suivre
bêtement
je suivais l’image que toujours je désirais
je suivais un mirage
la peur, la joie dans l’âme

je ne comprenais pas, non
je ne comprenais pas pourquoi
pourquoi je n’ai fait que porter mes lèvres
inertes sur les tiennes
pourquoi je n’ai pu répondre ardemment
pourquoi j’ai eu peur de m’emporter

c’est que
tu étais tellement belle
si belle !
te regarder, t’avoir dans mes bras
me suffisait amplement
aussi réservé que j’ai pu l’être
j’étais comblé
je ne cherchais rien de plus
je n’en demandais pas tant
dans tes bras, je me trouvais

je partais
j’ai fait un pas craintif
j’ai avancé ma bouche pour te baiser
dans un geste gauche et chancelant
j’ai baisé tes deux joues
j’ai risqué ta bouche fraîche
contre mes lèvres brûlantes

et
tu m’as répondu

j’embrassais mon mirage, mon rêve en image devant moi
devant mes yeux
derrière mes paupières fermées
je sentais —
oh oui ! je sentais —
ton odeur, ta forme, ton goût sur mes lèvres
je goûtais mon mirage, mon rêve en image en moi

j’étais surpris, hésitant, gauche et maladroit
je ne saisissais pas encore ce qui m’arrivait
ce qui nous arrivait
ce qui me dépassait

je me trouvais là
et je t’embrassais (toujours aussi réservé)
je ne comprenais pas pourquoi j’hésitais
j’avais peur
peur de te voir t’éteindre
de voir s’effacer mon mirage
mon rêve en image dans mes bras
sur ma bouche
contre tout mon corps
peur de m’apercevoir
en y risquant trop d’ardeur
que tu n’étais qu’un mirage
qu’une image en rêve devant moi
je ne comprenais pas, non
je ne comprenais pas pourquoi
pourquoi suis-je resté si chancelant
si hésitant

dans tes bras
sur ma bouche
je pouvais sentir ton désir
Je goûtais ton désir
mais je restais toujours
aussi chancelant
aussi résistant

car de toujours te voir
sans te toucher ni te demander
s’imprégnait en moi comme un songe
j’essayais de comprendre pourquoi
pourquoi ai-je fait encore l’insignifiant

je restais là
pendu à tes lèvres
niais

je baisais ta bouche
sans trop y mettre d’ardeur
ne croyant pas
cherchant encore en moi
la force d’agir vitement
j’étais pendu à tes lèvres
niais

comme un enfant qui embrasse pour la première fois
peur dans l’âme et joie dans le cœur
qui embrasse et se laisse bercer
par le goûter d’un doux mirage —
un beau rêve en image devant soi

une femme belle que l’on sent depuis longtemps
vivre en soi comme dans le monde au printemps

*****
Écrit par Enrico J. Lévesque le 27 septembre 2024
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