Femme parmi les femmes

Nous attendrons patiemment, à l’extérieur du mur érigé pour nous tenir à l’écart — femmes exilées, en marge d’une société dirigée par des hommes assoiffés de sang.

Nous avons subi des sévices multiples, écouté les plaintes, essuyé les abus. Nous avons rêvé d’un autre monde, couchées dans nos chambres ou debout dehors, avec nos enfants près de nous, jouant avec eux pour alléger nos souffrances, espérant qu’un jour meilleur viendrait avant qu’il ne soit trop tard, avant la fin du monde.

Nous avons veillé sur nos parents, pansé les blessures, consolé les malheureux. Nous avons pleuré nos peines et dormi, avec le mal à nos côtés, dans l’angoisse des prochaines attaques, à surveiller… à aimer malgré tout, jusqu’à nous attendrir.

Mais que l’on n’interprète pas nos élans de tendresse comme de la faiblesse : nous n’avons pas choisi l’attente par résignation, mais par courage. Nous avons refusé de devenir ce que la violence voulait. Nous sommes convaincues qu’une autre voie est possible, et nous l’incarnons.

Nous avons inscrit notre histoire sur les tablettes de nos cœurs et aimé l’humanité jusqu’à la laisser entrer dans nos ventres, jusqu’à la faire jaillir de nos reins. Nous avons offert nos corps pour enfanter l’humanité, et nous espérons pour elle toutes les belles attentions que nos mères nous ont témoignées.

Notre histoire est celle de notre résistance, de notre espérance, de nos rêves et de nos mains tendues. Nous avons nourri, embrassé, chéri nos enfants. Nous les avons regardés jouer dans les prairies, escalader les montagnes, et redescendre vers les villes. Nous les avons observés, corrigés, et nous espérons pour eux le meilleur de nos vies, le meilleur de nos pensées, le meilleur de nos rêves.

L’humanité que nous avons enfantée nous a été enlevée par le mensonge, la cupidité et l’avarice. Mais nous gardons espoir qu’elle nous reviendra un jour, même dans la souffrance, le malheur ou la mort.

Je vous ai donné en cadeau mon dévouement, ma générosité, ma tendresse — à vous, mes enfants — et je vous ai observés grandir. J’ai porté l’humanité en mon sein, et voilà… Je continuerai de vous allaiter jusqu’à me laisser mourir de fatigue et d’épuisement, s’il le faut.

Je suis femme parmi les femmes, mère parmi les mères, témoin de vos vies et de vos morts — vous, nos enfants devenus malheureux dans ce monde étrange, devenu tel que nous ne l’avons jamais voulu.

Ne nous accusez pas de vos malheurs, car si l’histoire avait été écrite de nos mains, au lieu de notre sang, elle aurait été toute autre.

Sachez, ô hommes, que vous nous reviendrez assurément, puisque nous retournerons tous et toutes, un jour ou l’autre, d’où nous sommes venus. Notre patience n’est pas soumission mais force — la certitude que ce que nous portons est plus durable que vos empires et vos murs.

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Écrit par Enrico J. Lévesque le 24 avril 2025
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